jeudi 29 novembre 2012

Romance à Portsmouth -1- Arrivée


Lentement, la diligence fantomatique descendait la route parcourant telle une cicatrice l’épaisse forêt des alentours de Portsmouth. Ces bois, sombres et denses semblaient impénétrables tant les arbres avaient poussé les uns sur les autres mélangeant leurs branches en un véritable mur végétal. Cette atmosphère oppressante était amplifiée par la pluie battante tombant depuis plusieurs heures sur la région. Dans la voiture deux vieilles dames se blottissaient l’une contre l’autre sans mot rien, me jetant de temps à autres des regards froids comme si ma bonne humeur n’était pas de mise en ces circonstances. Pourtant rien n’aurait pu ôter le sourire de mon visage ce soir. J’allais bientôt arriver à Portsmouth et rencontrer celle avec qui j’avais établi depuis quelques mois une correspondance de plus en plus passionnée. Doucement mon esprit s’enfonça dans ma mémoire. J’étais étudiant en histoire et j’avais choisi comme sujet de thèse le développement de la pêche dans les ports de la nouvelle Angleterre au cours du siècle dernier. En faisant ce choix j’espérais décrocher plus facilement mon doctorat qu’avec un sujet plus classique. N’ayant pas beaucoup de moyens pour me déplacer j’avais passé, il y a quelques mois, des annonces et étais entré en contact avec des correspondants dans les différents villages côtiers de la région. Ayant bien souvent eu affaire à de vieux enfants du pays ayant passés leur vie à entretenir la mémoire du village j’avais été très agréablement surpris de faire la connaissance d’Helena, jeune femme instruite connaissant parfaitement l’histoire de ce petit port de pêche et qui devins naturellement mon contact en ce lieu. Cette correspondance fut assez fructueuse pour que je consacre la moitié de mon étude à ce seul village. Helena, vers qui mes pensées étaient dorénavant tournées, m’a énormément aidé dans ma tache et c’est autant pour la remercier en personne que pour rencontrer celle dont j’attendais impatiemment la moindre lettre que j’étais venu à Portsmouth.

La diligence franchit une dernière colline et Portsmouth nous apparut enfin. En cette fin d’après midi une douce lumière éclairait le vieux village qui semblait ramassé sur lui-même, blottit au fond d’une cuvette en bordure de mer. Totalement isolé, le village était acculé à la mer et entouré par cette impénétrable forêt qu’une unique route traversait. Une petite rivière descendant des bois coupait le village en deux avant de se jeter dans l’immensité océanique. Tels de sombres oiseaux impassibles sur un rocher, les maisons se dressaient sur les flancs des collines et le centre du village était un enchevêtrement de petites rues sinueuses et humides. Le village n’était pas accueillant mais une certaine chaleur semblait s’en dégager. En ce début d’automne les premières fumées s’échappaient tranquillement des cheminées tandis que la plupart des embarcations étaient au sec pour être réparées pendant l’hiver. Arrivée enfin à destination la diligence s’arrêta à l’entrée du village. Les deux petites vieilles sautèrent promptement de la voiture et empruntèrent d’un pas pressé les ruelles avoisinantes. La première chose que je fit en sortant fut de m’emplir les poumons de cet air d’embruns unique que l’on ne trouve que dans ces petits villages côtiers. Puis, je me retournai vers le conducteur pour lui demander s’il connaissait une auberge où je pourrais séjourner. Le cochet tourna un visage inexpressif vers moi et me répondit qu’il devait y avoir un établissement sur le rivage susceptible de m’accueillir. Puis, sans attendre, il lança ses chevaux sur le trajet du retour. Je regardai la diligence s’éloigner doucement dans le crépitement de la pluie puis, prenant conscience subitement de la pluie trouva refuge sous le premier porche venu avant de m’interroger sur le chemin menant au port. Je m’enfonçai dans les rues étroites laissant le hasard me guider jusqu’au front de mer. Le village était calme en cette fin de journée d’octobre. Les rues étaient étroites et désertes.  Les maisons, d’un aspect rudimentaire mais entretenu, semblaient habitées mais aucun son ni signe d’activité ne s’en échappait. Seules les lumières et fumées s’élevant des cheminées trahissaient la présence humaine. Je suivis un chemin qui serpentait entre les maisons débouchant sur de petites places et parsemé de petits escaliers épars donnant à cette rue à palier un aspect très pittoresque. La rue enjamba soudainement la rivière par un petit pont de pierre entre deux ensembles de maisons puis vira brusquement avant de descendre doucement vers le port. La pluie redoublait et je pressai le pas. J’arrivai sur un front de mer désert et, sans prendre le temps d’admirer la vue, cherchai du regard un bâtiment qui pourrait ressembler à une auberge. J’aperçus non loin un bâtiment légèrement plus haut que les autres qui correspondait à mes attentes. Une enseigne représentant un squelette de poisson gravé sur une choppe pendait tristement à sa potence. En dehors de ce symbole rien n’indiquait qu’il s’agissait d’une taverne : pas de nom, pas de tables dehors, juste une lourde porte de chêne et des fenêtres crasseuses qui ne laissaient passées qu’une faible lumière. L’intérieur contrastait avec l’extérieur. Il faisait chaud et l’air était saturé de fumée. Un plafond bas amplifiait l’ambiance oppressante du lieu. La salle était de composition classique : un bar où les plus fidèles siégeaient sur leur tabouret et quelques tables où d’autres villageois se réunissaient. On ne pouvait pas dire que l’accueil était chaleureux. Quelques têtes s’étaient tournées à l’ouverture de la porte puis, ne reconnaissant pas l’un des leur, les occupants s’en étaient retournés à leurs occupations. Je m’approchai du comptoir où le patron impassible continuait à essuyer ses verres sans me prêter la moindre attention. Je demandai s’il était possible de louer une chambre pour la nuit. Le patron me jaugea du regard puis me répondit qu’il pouvait me trouver une chambre mais qu’il fallait payer d’avance. Je payai pour trois nuits puis, suivant les indications, montai poser mes affaires. La chambre était sommairement équipée mais propre et avec une belle vue sur la mer. Un petit placard prévu à cet effet fut bientôt rempli avec le contenu de ma valise. Le temps de disposer quelques affaires de toilettes dans la salle de bain et je se sentis déjà à l’aise dans cette chambre. Après tout elle n’était gère différente de ma chambre d’étudiant. Les bruits de la salle n’arrivaient pas jusqu’ici et d’après la disposition je devinai que je devais me trouver au-dessus des cuisines. La pluie s’était arrêtée mais la nuit allait tomber ainsi je décidai de resta là à contempler la vue depuis la fenêtre. Le bord de mer était plutôt agréable. Le village était installé dans une crique bordée par des falaises. Les maisons étaient serrées les unes contre les autres jusqu’à la naissance des promontoires. A la pointe sud trônait la tour du phare accroché le long de la falaise tel un pieu solitaire rappelant la présence de l’homme alors que le village encaissé semblait lui se dissimuler des regards. En face un manoir faisait front à la mer, étrangement isolé comme si le village l’avait rejeté. Les abords ne semblaient pas entretenus ce qui lui donnait un côté sombre et interdit. Je me demandai où pouvait bien habiter Helena et surtout comment pouvait-elle faire pour rester ici alors qu’elle semblait instruite et aurais du étudier dans une grande ville. Mon intuition me fit machinalement regarder dans la direction du manoir. Si une telle personne habitait réellement ici elle était forcément installée au manoir. 

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