Lentement, la
diligence fantomatique descendait la route parcourant telle une cicatrice
l’épaisse forêt des alentours de Portsmouth. Ces bois, sombres et denses
semblaient impénétrables tant les arbres avaient poussé les uns sur les autres
mélangeant leurs branches en un véritable mur végétal. Cette atmosphère
oppressante était amplifiée par la pluie battante tombant depuis plusieurs
heures sur la région. Dans la voiture deux vieilles dames se blottissaient
l’une contre l’autre sans mot rien, me jetant de temps à autres des regards
froids comme si ma bonne humeur n’était pas de mise en ces circonstances.
Pourtant rien n’aurait pu ôter le sourire de mon visage ce soir. J’allais
bientôt arriver à Portsmouth et rencontrer celle avec qui j’avais établi depuis
quelques mois une correspondance de plus en plus passionnée. Doucement mon
esprit s’enfonça dans ma mémoire. J’étais étudiant en histoire et j’avais
choisi comme sujet de thèse le développement de la pêche dans les ports de la
nouvelle Angleterre au cours du siècle dernier. En faisant ce choix j’espérais
décrocher plus facilement mon doctorat qu’avec un sujet plus classique. N’ayant
pas beaucoup de moyens pour me déplacer j’avais passé, il y a quelques mois,
des annonces et étais entré en contact avec des correspondants dans les
différents villages côtiers de la région. Ayant bien souvent eu affaire à de
vieux enfants du pays ayant passés leur vie à entretenir la mémoire du village
j’avais été très agréablement surpris de faire la connaissance d’Helena, jeune
femme instruite connaissant parfaitement l’histoire de ce petit port de pêche
et qui devins naturellement mon contact en ce lieu. Cette correspondance fut
assez fructueuse pour que je consacre la moitié de mon étude à ce seul village.
Helena, vers qui mes pensées étaient dorénavant tournées, m’a énormément aidé
dans ma tache et c’est autant pour la remercier en personne que pour rencontrer
celle dont j’attendais impatiemment la moindre lettre que j’étais venu à
Portsmouth.
La diligence
franchit une dernière colline et Portsmouth nous apparut enfin. En cette fin
d’après midi une douce lumière éclairait le vieux village qui semblait ramassé
sur lui-même, blottit au fond d’une cuvette en bordure de mer. Totalement
isolé, le village était acculé à la mer et entouré par cette impénétrable forêt
qu’une unique route traversait. Une petite rivière descendant des bois coupait
le village en deux avant de se jeter dans l’immensité océanique. Tels de
sombres oiseaux impassibles sur un rocher, les maisons se dressaient sur les
flancs des collines et le centre du village était un enchevêtrement de petites
rues sinueuses et humides. Le village n’était pas accueillant mais une certaine
chaleur semblait s’en dégager. En ce début d’automne les premières fumées
s’échappaient tranquillement des cheminées tandis que la plupart des
embarcations étaient au sec pour être réparées pendant l’hiver. Arrivée enfin à
destination la diligence s’arrêta à l’entrée du village. Les deux petites
vieilles sautèrent promptement de la voiture et empruntèrent d’un pas pressé
les ruelles avoisinantes. La première chose que je fit en sortant fut de
m’emplir les poumons de cet air d’embruns unique que l’on ne trouve que dans
ces petits villages côtiers. Puis, je me retournai vers le conducteur pour
lui demander s’il connaissait une auberge où je pourrais séjourner. Le cochet
tourna un visage inexpressif vers moi et me répondit qu’il devait y avoir un
établissement sur le rivage susceptible de m’accueillir. Puis, sans attendre,
il lança ses chevaux sur le trajet du retour. Je regardai la diligence
s’éloigner doucement dans le crépitement de la pluie puis, prenant conscience
subitement de la pluie trouva refuge sous le premier porche venu avant de
m’interroger sur le chemin menant au port. Je m’enfonçai dans les rues étroites
laissant le hasard me guider jusqu’au front de mer. Le village était calme en
cette fin de journée d’octobre. Les rues étaient étroites et désertes. Les maisons, d’un aspect rudimentaire mais entretenu,
semblaient habitées mais aucun son ni signe d’activité ne s’en échappait.
Seules les lumières et fumées s’élevant des cheminées trahissaient la présence
humaine. Je suivis un chemin qui serpentait entre les maisons débouchant sur de
petites places et parsemé de petits escaliers épars donnant à cette rue à
palier un aspect très pittoresque. La rue enjamba soudainement la rivière par
un petit pont de pierre entre deux ensembles de maisons puis vira brusquement
avant de descendre doucement vers le port. La pluie redoublait et je pressai le
pas. J’arrivai sur un front de mer désert et, sans prendre le temps d’admirer
la vue, cherchai du regard un bâtiment qui pourrait ressembler à une auberge.
J’aperçus non loin un bâtiment légèrement plus haut que les autres qui
correspondait à mes attentes. Une enseigne représentant un squelette de poisson
gravé sur une choppe pendait tristement à sa potence. En dehors de ce symbole
rien n’indiquait qu’il s’agissait d’une taverne : pas de nom, pas de
tables dehors, juste une lourde porte de chêne et des fenêtres crasseuses qui
ne laissaient passées qu’une faible lumière. L’intérieur contrastait avec
l’extérieur. Il faisait chaud et l’air était saturé de fumée. Un plafond bas
amplifiait l’ambiance oppressante du lieu. La salle était de composition
classique : un bar où les plus fidèles siégeaient sur leur tabouret et
quelques tables où d’autres villageois se réunissaient. On ne pouvait pas dire
que l’accueil était chaleureux. Quelques têtes s’étaient tournées à l’ouverture
de la porte puis, ne reconnaissant pas l’un des leur, les occupants s’en
étaient retournés à leurs occupations. Je m’approchai du comptoir où le patron
impassible continuait à essuyer ses verres sans me prêter la moindre attention.
Je demandai s’il était possible de louer une chambre pour la nuit. Le patron me
jaugea du regard puis me répondit qu’il pouvait me trouver une chambre mais qu’il
fallait payer d’avance. Je payai pour trois nuits puis, suivant les
indications, montai poser mes affaires. La chambre était sommairement équipée
mais propre et avec une belle vue sur la mer. Un petit placard prévu à cet
effet fut bientôt rempli avec le contenu de ma valise. Le temps de disposer
quelques affaires de toilettes dans la salle de bain et je se sentis déjà à
l’aise dans cette chambre. Après tout elle n’était gère différente de ma
chambre d’étudiant. Les bruits de la salle n’arrivaient pas jusqu’ici et
d’après la disposition je devinai que je devais me trouver au-dessus des
cuisines. La pluie s’était arrêtée mais la nuit allait tomber ainsi je décidai
de resta là à contempler la vue depuis la fenêtre. Le bord de mer était plutôt
agréable. Le village était installé dans une crique bordée par des falaises.
Les maisons étaient serrées les unes contre les autres jusqu’à la naissance des
promontoires. A la pointe sud trônait la tour du phare accroché le long de la
falaise tel un pieu solitaire rappelant la présence de l’homme alors que le
village encaissé semblait lui se dissimuler des regards. En face un manoir
faisait front à la mer, étrangement isolé comme si le village l’avait rejeté.
Les abords ne semblaient pas entretenus ce qui lui donnait un côté sombre et
interdit. Je me demandai où pouvait bien habiter Helena et surtout comment
pouvait-elle faire pour rester ici alors qu’elle semblait instruite et aurais
du étudier dans une grande ville. Mon intuition me fit machinalement regarder
dans la direction du manoir. Si une telle personne habitait réellement ici elle
était forcément installée au manoir.
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