Le lendemain
matin un soleil timide se dévoilait au rythme régulier du passage de quelques
nuages. Le ciel était d’un bleu profond qui contrastait avec le gris argenté de
la mer. Une douce lumière entrait par la fenêtre et une légère brise apportait
les embruns tandis qu’une multitude d’oiseaux jouaient dans les reflets
brillants d’une mer turbulente. Tout cet ensemble de lumière de bruit et
d’odeur m’inspira au point de passer l’entière matinée à la rédaction de mes
notes. J’avais décidé de coucher sur manuscrit toutes les sensations que me procurerait
ce voyage et pour l’instant mes attentes étaient comblées.
Au
bout de quelques pages, mon appétit d’écriture rassasié, je décidai de sortir
me promener afin de m’imprégner complètement de cette atmosphère jusqu’au midi
avant de me mettre en quête de celle que j’étais venu visiter. Souhaitant
terminer par la jetée je commençai par m’enfoncer dans les petites ruelles du
village. Malgré un aspect beaucoup moins sombre que la veille, elles étaient
tout aussi désertes. Les maisons, malgré un aspect pauvre et des constructions
irrégulières étaient correctement entretenues et de nombreux arbustes et
massifs de fleurs ornaient les devantures, contrastant avec les vitres épaisses
et sombres des maisons. Les rues étaient propres et malgré les nombreuses
margelles, pas une seule fois je ne trébuchai sur les pavés. Le tracé
irrégulier des rues débouchait régulièrement sur des petites places tantôt
occupée par un puits tantôt par un arbre centenaire ou un ensemble de banc. Je
ne croisai que quelques personnes pressée qui ne répondirent pas à mes
politesses. L’impression d’être évité se confirma une fois de plus sans
toutefois me surprendre d’avantage. Mes pas finirent par me ramener non sans
mal vers la jeté et, comme l’heure avançait je remontai le long de celle-ci
pour rejoindre l’auberge.
Je flânai le
long du port lorsque j’aperçu sur la jetée une ravissante demoiselle d’une
vingtaine d’année tenant son chapeau pour empêcher le vent de lui ravir. Elle portait
une robe finement ouvragée dont la couleur bleue pâle soutenait son teint
porcelaine. A ses pieds reposait un volumineux panier rempli de victuailles. La
jupe se composait de nombreux voilage tous parfaitement ajustés entre eux et un
corsage brodé mettant en valeur les lignes généreuses de sa frêle silhouette de
jeune femme citadine. Ce raffinement ne laissait dans mon esprit aucun doute
sur l’identité de cette jeune personne. Afin de m’en assurer je m’approchai de
la jetée, faignant une démarche nonchalante, pour de ne pas donner l’impression
d’aller à sa rencontre.
Au moment où
j’approchai elle se retourna, ayant deviné ou entendu ma présence. Elle
m’adressa un sourire radieux en me saluant et me remerciant de cette visite. Je
lui rendis son bonjour en lui exprimant ma surprise de la voir m’attendre alors
que je ne l’avais pas prévenu de ma venue. Elle me dit qu’elle avait été
prévenue de mon arrivée et qu’elle s’attendait depuis quelques temps à ce que
je lui rende visite. Je lui fis mile compliment quand à sa beauté, sa tenue et
sa charmante attention me désolant de me comporter comme le dernier des rustres
en arrivant ici sans prévenir ni organiser mon arrivée. Elle se mit à rire avec
légèreté et me posa un baiser sur la joue en me répondant que mon désir de lui
rendre visite était la plus charmante des attentions et qu’elle excusait
pleinement mon empressement.
Ayant tout
prévu elle m’invita à partager dès le midi un pique-nique champêtre. Elle
m’indiqua que le meilleur endroit pour déjeuner était la pointe du vieux phare
d’où nous pourrions avoir une magnifique vue sur la baie et le village.
J’acquiesçai en lui et lui proposai fort galamment de la soulager de son panier.
Nous marchâmes tous deux vers le vieux phare le long de la corniche, empruntant
un vieux sentier qui courait irrégulièrement entre les buissons.
Nous passâmes le
trajet à discuter de la région. Malgré les nombreuses informations dont elle
m’avait déjà fait part par écrit elle regorgeait encore de petites anecdotes et
me fît observer tant de curiosité, de détails du paysage qu’elle n’avait pu que
passer son enfance à parcourir les alentours du village. Tout en continuant de
l’écouter j’essayai de l’imaginer enfant. Elle avait dû être une petite fille
espiègle mais capable d’une grande écoute et d’un sérieux propre aux adultes.
Elle était ravissante et sa conversation était délicieuse.
Nous
arrivâmes sans nous en rendre compte au pied du phare. La corniche était ici
complètement dégagée et une prairie parsemée de rochers couvrait le monticule
où trônait l’édifice. Un arbre unique et centenaire lui tenait compagnie en ce
lieu idyllique. Un vieux cèdre au branchage tordu et malmené par les
éléments me rappelai la structure même du village : ramassé, torturé mais
prêt à affronter toutes les agressions extérieurs.
Nous nous
installâmes au pied de l’arbre et j’étendais la couverture pendant qu’Helena
vérifia le contenu de son panier. Elle avait préparé un délicieux repas et je
me régalai de mets subtils et délicats. Notant ma surprise quant au fait
qu’elle ne mangeait rien, elle m’expliqua qu’elle était malade et que le peu
qu’elle avait déjeuné ce matin lui suffisait pour tenir la journée. Je
m’inquiétais sur sa santé mais elle esquiva la conversation en me demandant comment
je trouvais son village. Je commençai par regretter l’austérité des villageois,
l’expliquant par l’isolement du village et voyant que ces critiques l’attristaient
je détournai rapidement sur la beauté du paysage et la conservation de la côte
sauvage. Elle me sourit de nouveau à ces paroles. Ce sourire me transporta et
pendant un instant je n’avais plus qu’une envie : continuer de la faire
sourire éternellement. Rassurée sur mes impressions, elle m’expliqua qu’en
dépit de leur apparente froideur, les habitants du village étaient solidaires
et généreux. Ils étaient tout simplement craintif de ce qui leur était étranger
et craignaient que la tranquillité de ces lieux se perde un jour, dénaturé par
quelques visiteurs. C’est pourquoi ils rejetaient tout contact avec
l’extérieur.
En fin de
repas, alors que je me roulais une cigarette adossé au vieux cèdre, elle rosi légèrement en m’interrogeant
sur les motivations de ma visite. Je pris une longue inspiration. Jugeant qu’il
était trop tôt pour lui dire que j’étais venu uniquement pour elle, je répondit
que je souhaitais voir de mes propres yeux le village sur lequel je passait
tant de temps d’étude et que cela me permettais aussi de lui rendre visite
après une si longue correspondance. Elle sourit timidement, puis resta pensive,
le regard noyé dans l’étendu maritime.
La laissant à
sa réflexion, j’observais en détail le phare. C’était une vieille construction,
solidement arrimée au promontoire rocheux. La végétation s’étendait à son pied
sans pour autant envahir sa façade, comme si la nature s’accommodait de sa
présence. Une volée de marche conduisait à une porte robuste. Les murs avaient
l’air très épais, le vent devait être rude ici lorsque les éléments se
déchainaient. Aucune fenêtre mais de petites ouvertures perçaient la façade
massive, rappelant des meurtrières. Au sommet, la présence d’un plateau et une
poulie indiquaient qu’à l’origine le phare devait fonctionner au bois.
Remarquant mon
intérêt pour le bâtiment, Helena m’indiqua qu’il s’agissait à l’origine d’une
tour à feu construite pour guider le
retour des bateaux rentrant tardivement de la pêche. La structure avait été
conservée et une lampe de phare moderne
avait remplacé le bucher. Elle m’expliqua l’originalité de ce phare qui
utilisait une génératrice à bois pour alimenter la lampe. Cette fonctionnalité
avait été décidée par les habitants, officiellement pour conserver la mémoire de
la tour à feu. Officieusement ils voyaient d’un mauvais œil l’intervention
extérieure régulière pour ravitailler le phare.
Le phare était
actuellement habité par deux frères qui se relayaient chaque soir pour
surveiller son bon fonctionnement. Helena se mît à rire quand je lui je lui
exprima ma surprise quant au fait qu’ils vivaient tous deux à l’intérieur d’un
endroit si sinistre et m’indiqua qu’ils vivaient dans la dernière maison de ce
côté ci du village. Elle me promit de m’emmener un jour visiter l’intérieur du
phare afin de me rendre compte par moi-même qu’il était impossible d’y vivre.
Me détournant
du phare j’aperçu la riche demeure sur le promontoire de l’autre côté de la
baie. Vu d’ici l’édifice semblait dominer complètement le village. Subitement
Helena me sorti de ma rêverie en me proposant d’aller faire une ballade en
barque au pied des falaises. J’acquiesçai et me laissa guidé le long d’un petit sentier étroit qui menait à
un embarcadère dissimulé au pied de la falaise. Une vieille barque y attendait,
bercée tranquillement par les vagues.
Helena
m’expliqua que cet embarcadère avait été aménagé il y a bien longtemps, à une
époque où le phare était le centre d’un trafic de produits exotiques. La nuit,
des bâtiments en provenance de lointaines contrées mouillaient au large et des
barques venaient livrer jusqu’au phare des marchandises sur lesquelles il ne
valait mieux pas attirer l’attention des autorités portuaires. Les bateaux
repartaient ensuite jusqu’à Providence pour livrer le reste de leurs
marchandises. Les clients venaient discrètement chercher ensuite leurs
cargaisons au phare.
Nous passâmes un long moment, tranquillement installé, prenant soin de
ne pas nous éloigner. La mer était calme et je pouvais conduire la barque assez
facilement. Comme Helena l’avait dit la vue en contrebas des falaises était
magnifique et elle me fît découvrir de nombreuses petites grottes creusées par
le travail du ressac. Ces petites niches ressemblaient à des cavernes
fantastiques que l’imaginaire
remplissait abondamment d’histoire de piraterie et de contrebande. Elle me décrivit
son enfance espiègle et avide d’exploration. Elle avait inspecté durant ses
jeunes années chacune de ces cavités et elle n’y avait malheureusement trouvé
que ce que son esprit romanesque y inventait. Plongeant régulièrement ses
parents dans l’inquiétude, elle passait des jours entier et rentrait parfois
bien après la tombée de la nuit à explorer et rechercher tous les trésors que
pouvait receler ce lieu idyllique.