jeudi 25 avril 2013

Romance à Portsmouth -1- visite de complaisance



Lentement, la diligence fantomatique descendait l’étroite route qui dessinait une cicatrice à travers l’épaisse forêt des alentours de Portsmouth. Une atmosphère oppressante, amplifiée par la pluie battante, pesait en ces lieux. Ces arbres noirs, privés d’espace et de lumières avait poussés en un enchevêtrement tortueux de troncs et de branches empêchant quiconque de pénétrer en leur sein sans contorsion. Aucun animal ne s’approchait de la lisière et pourtant l’observateur averti pouvait déceler d’infimes mouvements dans les profondeurs des sous-bois. Le chemin lui-même était sinueux et défoncé. De puissantes racines en perçaient la surface et son tracé semblait aussi irrégulier que les troncs des arbres qui le bordaient.

Dans la voiture chahutée, un silence pesant régnait. En face de moi, deux vieilles dames se blottissaient l’une contre l’autre sans mot rien, me jetant de temps à autres des regards froids, comme si ma bonne humeur n’était pas de mise en ces circonstances. Pourtant rien n’aurait pu ôter le sourire de mon visage ce soir. J’allais bientôt arriver à Portsmouth, petite bourgade que je rêvais de visiter depuis plusieurs mois. A vrai dire ce n’était plus le village qui occupait mon attention ces dernières semaines. J’allais enfin rencontrer celle avec qui j’avais établi, depuis quelques mois, une correspondance de plus en plus passionnée.

Doucement mon esprit s’enfonça dans les méandres de mes souvenirs. Etudiant en histoire, j’avais choisi comme sujet de thèse le développement de la pêche dans les ports de la nouvelle Angleterre au cours du siècle dernier. N’ayant pas beaucoup de moyens pour me déplacer j’avais passé, il y a quelques mois, des annonces et étais entré en contact avec des correspondants dans les différents villages côtiers de la région. Ayant bien souvent eu affaire à des anciens, enfants du pays, ayant passés leur vie à entretenir la mémoire du village, j’avais été très agréablement surpris de faire la connaissance d’Helena, jeune femme instruite connaissant parfaitement l’histoire de ce petit port de pêche et qui devins naturellement mon contact en ce lieu. Cette correspondance fut assez fructueuse pour que je consacre la moitié de mon étude à ce seul village. Helena m’avait énormément aidé dans ma tâche et c’est autant pour la remercier en personne que pour rencontrer celle dont j’attendais impatiemment la moindre lettre que j’étais venu à Portsmouth.

La diligence franchit une dernière colline et Portsmouth m’apparut enfin. La pluie avait cessée et une douce lumière éclairait le vallon. Au milieu, le village semblait ramassé sur lui-même étroitement prisonnier des deux collines l’encadrant. Totalement isolé, il était acculé à la mer et entouré par cette impénétrable forêt qu’une unique route traversait. Une petite rivière descendait des bois et coupait le village en deux avant de se jeter dans l’immensité océanique. Tels de sombres oiseaux impassiblement posés sur leur rocher, des maisons se dressaient sur les flancs des collines. Le centre était, quant à lui,  un enchevêtrement de petites rues sinueuses et humides. Quelque chose dans cet ensemble de toitures et de ruelles manquait de l’harmonie pittoresque que l’on pouvait attendre de ce genre de lieu.

Enfin arrivée à destination, la diligence s’arrêta à l’entrée du village. Les deux petites vieilles sautèrent promptement de la voiture et empruntèrent d’un pas pressé les ruelles avoisinantes. La première chose que je fis en sortant fut de m’emplir les poumons de cet air d’embruns unique que l’on ne trouve que dans les petits villages côtiers. Puis, je me retournai vers le conducteur pour lui demander s’il connaissait une auberge où je pourrais séjourner. Le cochet tourna vers moi un visage inexpressif et me répondit que je trouverai surement un établissement de ce genre sur le rivage. Puis, sans attendre, il lança ses chevaux sur la route.

Je regardai la diligence s’éloigner doucement puis, prenant conscience que le soir allait bientôt tomber, m’interrogea sur le chemin menant au port. N’aillant personne pour m’en indiquer le chemin je m’enfonçai dans les rues étroites, laissant le hasard me guider jusqu’au front de mer. Le village était calme en cette journée de fin d’octobre. Les rues étaient étroites et désertes.  Les maisons, d’un aspect rudimentaire mais entretenu, semblaient habitées mais aucun bruit ni autre signe d’activité ne s’en échappait. Seules les lumières derrière les carreaux fumés et les fumées s’élevant des cheminées trahissaient la présence de quelques habitants. Je suivis un chemin qui serpentait entre les maisons débouchant sur de petites places et parsemé de petits escaliers épars. La rue enjambait soudainement la rivière par un petit pont de pierre entre deux ensembles de maisons puis virait brusquement avant de descendre doucement vers le port.

J’arrivai sur un front de mer désert et, sans prendre le temps d’admirer la vue, cherchai du regard un bâtiment qui pourrait ressembler à une auberge. J’aperçus non loin un bâtiment légèrement plus haut que les autres qui correspondait à mes attentes. Une enseigne représentant un squelette de poisson gravé sur une choppe pendait tristement à sa potence. En dehors de ce symbole rien n’indiquait qu’il s’agissait d’une taverne : pas de nom, pas de tables dehors, juste une lourde porte de chêne et des fenêtres crasseuses qui ne laissaient passées qu’une faible lumière. L’intérieur contrastait avec l’extérieur. Il faisait chaud et l’air était saturé de fumée. Un plafond bas accentuait l’ambiance étouffante du lieu. La salle était de composition classique : un bar où les plus fidèles siégeaient sur leur tabouret et quelques tables où d’autres villageois se réunissaient. Personne ne sembla s’intéresser à ma présence. Quelques têtes s’étaient tournées à l’ouverture de la porte puis, ne reconnaissant pas l’un des leur, les habitués s’en étaient retournés à leurs occupations.

Je m’approchai du comptoir où le patron impassible continuait à essuyer ses verres sans me prêter la moindre attention. Je demandai s’il était possible de louer une chambre pour la nuit. Tournant enfin la tête, le patron me jaugea du regard puis me répondit qu’il pouvait me trouver une chambre mais qu’il fallait payer d’avance. Je payai pour trois nuits puis, suivant les indications, montai poser mes affaires. La chambre était sommairement équipée mais propre et avec une belle vue sur la mer. Un petit placard prévu à cet effet fut bientôt rempli avec le contenu de ma valise. Le temps de disposer quelques affaires de toilettes dans la salle de bain et je me sentis enfin détendu. Les bruits de la salle n’arrivaient pas jusqu’ici et d’après la disposition je devinai que je devais me trouver au-dessus des cuisines.

La nuit allait bientôt tomber ainsi je décidai de resta là à contempler la vue depuis la fenêtre. Le bord de mer était plutôt agréable. Le village était installé dans une crique bordée par des falaises. Les maisons étaient serrées les unes contre les autres jusqu’à la naissance des promontoires. A la pointe sud trônait la tour du phare accrochée le long de la falaise tel un pieu solitaire rappelant la présence de l’homme alors que le village encaissé semblait, lui, se dissimuler des regards. En face de lui, sur l’autre promontoire, un manoir siégeait, solitaire, étrangement isolé comme si le village l’avait rejeté. Je me demandai où pouvait bien habiter Helena et surtout comment pouvait-elle faire pour rester ici alors qu’elle semblait instruite et aurais du étudier dans une grande ville. Mon intuition me fit machinalement regarder dans la direction du manoir. Si une telle personne habitait réellement ici elle était forcément installée au manoir. 

2 commentaires:

  1. Le titre, la façon de démarrer l'histoire, on croirait du Lovecraft : j'adore !!!

    RépondreSupprimer
  2. Merci ! ça me fait plaisir parce que c'était le but recherché ! Et comme je ne t'en avait pas parlé avant du coup je me dit que j'ai pas trop mal réussit mon coup !

    RépondreSupprimer